De l’EFCK à l’écriture

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Dans le cadre des cours d’EFCK (Éléments Fondamentaux de la Cultures Kanak), des élèves de 1G2 ont imaginé et rédigé, en petits groupes, des histoires à la manière des contes océaniens.

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Le Chant de Ōhna
Maël Guiguin et Aedan Léger

Il était une fois, dans les eaux chaudes du Pacifique, une île que l’on appelait Hanpet Amë, ce qui signifie « l’île réservée ». C’était un lieu protégé, bercé par les courants, entouré d’un vaste lagon turquoise et d’une barrière de corail ancienne comme le monde. Sur cette île vivait un esprit : Tepolo Xôtropan, gardien des récits, protecteur de la mer et des coutumes. Il n’était ni homme ni animal. Son corps était fait de coraux vivants, ses bras d’algues et sa voix résonnait comme le tonnerre des vagues. Ses yeux profonds contenaient la mémoire des anciens, et nul ne pouvait braver ses lois sans en subir les conséquences.

          Dans ce monde de traditions et de chants sacrés, une étrangère posa un jour le pied sur le sable blond de Hanpet Amë. Elle s’appelait Ōhna. Jeune fille d’une île lointaine, elle portait en elle d’autres croyances, d’autres récits, et ignorait tous des règles invisibles qui régissaient la vie ici. Pourtant, elle était curieuse, émerveillée par les paysages et les sons qui l’entouraient. Ses yeux brillaient d’une lumière vive, ses longs cheveux étaient tressés de coquillages, et sa robe flottait comme une algue légère au gré du vent. Le village où elle arriva était fait de cases en bois, aux toits tressés de feuilles de cocotier. Derrière, une forêt luxuriante s’élevait, pleine d’arbres sacrés et de plantes médicinales. Le soir, les anciens chantaient les récits d’origine autour du feu. Le lagon, calme et immense, reflétait les étoiles. Mais Ōhna, bien qu’accueillie avec bienveillance, ne comprenait pas encore l’importance de ces chants.

          Un matin, sans se douter du danger, Ōhna entra dans l’eau pour pêcher. Elle oublia, ou peut-être ne savait-elle pas, qu’ici, chaque action liée à la mer devait commencer par un chant : le Caa Hëtru, une prière ancienne, offerte à Tepolo Xôtropan. Ce silence fut une offense. Le ciel s’assombrit. Les vagues rugirent. Les poissons s’éloignèrent. Et, dans les abysses, l’esprit des récifs s’éveilla, blessé dans sa mémoire. Les habitants comprirent : quelque chose avait brisé l’harmonie. La mer ne répondait plus.

       Ōhna, bouleversée, voulut réparer son erreur. Accompagnée des anciens, elle partit dans la forêt à la recherche du savoir oublié. Là, elle écouta les chants gravés dans les troncs, toucha les pierres peintes par les ancêtres, respira les parfums des plantes guérisseuses. Pendant plusieurs jours, elle apprit. Non pas seulement avec son esprit, mais avec son cœur. Elle comprit peu à peu que les récits, les chants, les gestes n’étaient pas des règles rigides, mais une langue vivante, tissée entre l’humain et la nature. Un soir, alors que le soleil plongeait dans la mer, Ōhna monta sur un rocher de corail. Face au lagon, elle ferma les yeux. Le vent portait en lui la mémoire du chant sacré. Ōhna inspira profondément… et entonna le Caa Hëtru. Sa voix, d’abord tremblante, devint claire et pure. Elle portait la reconnaissance, l’humilité et l’espoir.

Tepolo Xôtropan apparut. Il s’éleva lentement des profondeurs. Ses yeux étaient doux, comme la mousse de l’écume. Il n’y avait plus de colère. Seulement un silence paisible.

          L’esprit accepta le chant. Puis il se dissout dans les vagues, emportant avec lui le désordre.

          La mer reprit ses couleurs. Les poissons revinrent. Et le peuple comprit que le lien avec la mer avait été restauré. Dès lors, Ōhna ne fut plus une étrangère. Elle respectait les coutumes de l’île, chantait avant chaque pêche, écoutait les récits des anciens, et transmettait à son tour. Elle intégra les rituels, les valeurs et les symboles sacrés dans sa manière de vivre. Sans renier ce qu’elle était, elle unit ses origines à celles de Xö Pwöny.

Celë hi[1], respecter les coutumes d’un peuple, c’est entendre la mémoire de sa terre ; et s’y ouvrir avec sincérité, c’est faire pousser des racines nouvelles entre deux cultures.

[1] Celë hi : C’est ainsi que

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Les Protecteurs du Récif
Matisse Brétegnier, Manoa Linares, Kyrian Mountry et Chad Charet

Il était une fois, sous les eaux turquoise et limpides de la plage de Peng, à Lifou, un récif de corail aux couleurs éclatantes. Tout autour, de petites patates de corail abritaient des créatures marines pleines de vie et de sagesse.
Parmi elles vivaient Zivai[1], un poisson-pierre âgé, respecté de tous. Il était lent, camouflé, mais toujours vigilant. Son rôle ? Veiller sur le récif et protéger ses habitants. À ses côtés vivait Mêlö[2], une langouste bavarde et joyeuse, qui passait son temps à parler avec tout le monde. Elle connaissait tous les secrets du récif.

Et puis, il y avait Mageti[3], un petit dawa curieux et plein d’énergie. Il venait de découvrir le monde et posait mille questions à Mêlö. Il n’avait pas encore conscience des dangers qui rôdaient au-delà du récif.

Mais, au loin, du côté de la tribu de Xepenehe, un pêcheur maladroit nommé Pëhë embarquait à bord de sa pirogue. Grand, fort, mais peu malin, Pëhë[4] était connu comme « le benet du village ». Ce matin-là, il décida de partir pêcher près du récif, malgré les interdictions.
Le soleil venait de se lever. Une douce matinée s’annonçait.  Mageti et Mêlö nageaient ensemble entre les coraux quand un bruit de moteur déchira le silence de l’eau.

- « Qu’est-ce que c’est ? » demanda Mageti, intrigué.

Mais, avant que Loulou ne puisse répondre, un filet tomba sur lui ! Mageti se retrouva piégé, se débattant dans les mailles.
- « Au secours ! » cria-t-il, tandis que la pirogue s’éloignait lentement avec lui.

Mêlö, affolée, fila droit vers la patate.
- « Zivai ! Zivai ! Réveille-toi. Ils ont pris Mageti ! C’est Pëhë, le pêcheur de Xepenehe ! ».

Zivai ouvrit lentement les yeux. Il ne dit rien, mais son regard devient dur. Il savait ce qu’il devait faire.

Pendant ce temps, Pëhë tenta de retirer son ancre, coincée dans le corail. Il tirait de toutes ses forces, grognant et pestant.

Soudain, Zivai surgit dans un nuage de sable et le piqua violemment sous le pied.

- « Aïe ! » hurla Pëhë, lâchant tout.

C’est alors que Mêlö sortit à la surface et cria :
- « Relâche Mageti tout de suite, ou Zivai te piquera encore ! ».

Pris de panique, Pëhë ne réfléchit pas. Il ouvrit son filet et libéra Mageti, qui replongea rapidement dans les profondeurs.

Plus jamais Pëhë ne revint pêcher près de la patate. Il raconta même, à tout le village de Xepenehe, qu’un esprit du récif l’avait attaqué.

Depuis ce jour, Mageti écoute les conseils des anciens, Mêlö continue de bavarder et Zivai veille, toujours silencieux, prêt à intervenir si un danger s’approche.

Et tous, unis comme une famille, se rappellent que :
« L’union fait la force, et la ruse l’emporte sur la force brute. »

 

[1] « vieux », « ancien »
[2] « joyeuse »
[3] « énergie »
[4] « pêcheur »